DE L'UTILISATION DE MARTELLOIOS
OU ROSES DES VENTS AU MOYEN AGE


par H. MICHEA
CAPITAINE AU LONG COURS


Ce texte a été publié dans NAVIGAtlON n°111 Janvier 1989.

Les illustrations correspondantes seront insérées ultérieurement

RESUME

Les martelloios qui sont dessinés sur les premières cartes constituent un diagramme de calcul qui permettait aux pilotes d'effectuer une estime sans autre calcul qu'une règle de trois. Le chemin parcouru était figuré en direction au moyen de compas à pointes sèches. Les distances étaient prises en compte au moyen de l'échelle de distance de la carte. Le point obtenu était lu en relèvement et distance par rapport au prochain point de destination du navire. Les tables de P. de MEDINA, dans L'art de naviguer, Lyon, 1554, pages 32-35, sont la transcription des données du martelloio. La position du martelloio n'était pas liée à un point particulier de la carte. Cependant, son orientation servait de référence pour la lecture des routes. Les principaux points de la cote étaient, semble-t-il, reliés entre eux par un relèvement magnétique local.

Les portulans ont été probablement établis, non pas pour représenter le monde, mais afin d'aider la mémoire des pilotes engagés sur un itinéraire privilégié. Les martelloios servaient d 'abaque de calcul et d 'estime.

ABSTRACT

The martelloios drawn up on early sailing charts are in fact an independant diagram enabling the pilot to execute dead reckoning and decide the tack he had to follow in order to reach its destination. He was just to be familiar with the arithmetic rule of three. The course was set in direction by use of dividers. The distance was drawn from the chart distance scale. The obtained point was immediately converted into distance and bearing from the destination point. The tables set in the Arte de navegar by Pedro de MEDiNA, Lyon, 1554, pages 32-35, are exactly figuring the martelloio network. The position of the martelloio is not connected to a particular point of the map. However its heading is the reference for reading the suggested routes. Main coast points are most probably tied each other by local magnetic bearings.

Portolanos have most probably been drawn up, not to represent the world, but in order to assist pilot's memory when folowing privileged itineraries. The martelloios were just acting as a computer and dead reckoning abacus.

CARTES ANCIENNES

La plupart des lecteurs auront remarqué, à l'occasion de la visite d'expositions telles que celle de 1981 au Centre Pompidou, et qui était consacrée aux " Visages de la terre ", et celle, plus récente, de l'été 1987, au Musée de la Marine de Paris, sous le nom d'" Océan des hommes ", où fut exposée la carte Pisane ", aux environs de 1290, les roses qui surchagent certaines cartes anciennes, comme par exemple la " carte Pisane", reproduite en figure 1

Cette rose soulève un certain nombre de questions parmi lesquelles celle de savoir à quoi elle servait, d'une part, et en quoi elle participait à l'élaboration des cartes anciennes, d'autre part. Avant d'entrer plus avant dans un exposé proposant une réponse à ces deux questions, je souhaiterais faire quelques remarques préliminaires.

D'une manière générale, les navigations les plus anciennes connues font référence, lorsque on en lit les relations avec attention, aux distances séparant les escales maritimes, exprimées en journées de navigation et parfois en autres " unités " dont la valeur précise s'avère d'appréhension délicate, mais pratiquement jamais à la notion de direction. Lorsque une allusion est faite à une direction de marche, c'est en général par référence à la position d'une constellation d'étoiles, comme dans le voyage d'Ulysse, du mont Atlas vers la Phénicie, pour lequel Athena lui prescrit de " garder la Grande Ourse à sa droite " [1], ou bien encore au travers de noms de vents à caractères stables tels que le Borée qui menait de Paphos à Alexandrie, sur une distance de 3 800 stades [2]. Les " périples " [3] qui nous sont parvenus ne font pratiquement pas référence à la notion de direction; c'est également le cas de la table de Peutinger. On pourra interpréter la chose en suggérant que les itinéraires ainsi décrits suivaient le profil des côtes, en particulier en Méditerranée, et que, par conséquent, les traversées en droiture étaient sans doute rares et limitées à des trajets bien éprouvés sur la voie desquels les marins de l'Antiquité pourraient bien avoir été mis par des visibilités et réfractions exceptionnelles ou bien aussi par les vols périodiques d'oiseaux migrateurs, comme ce fut le cas des navigateurs irlandais qui s'aventurèrent jusqu'en Islande et dont la légende de saint Brendan nous a transmis le souvenir.

MARTELLOI0S, RUMBS, QUARTS ET POINTS

Ce n'est qu'à partir de l'époque du Bas-Empire romain et, par la suite, des premières croisades qu'il sera fait référence à des traversées proprement dites comme celle expliquée par G. de NANGIS dans sa relation de la croisade de Saint Louis [4]. C'est dans ce dernier document que, à ma connaissance, on voit pour la première fois une référence à une carte marine.

Sur le plan mathématique, le martelloio, ainsi fut nommée la figure par les auteurs de la Renaissance, se présente comme une circonférence sur laquelle sont répartis seize points équidistants reliés chacun à tous les autres par une corde. Chacun des angles inscrits, sous-tendant une corde joignant deux points consécutifs, est égal à 11,25 degrés, ce que nous appelions, il y a encore peu d'années, un quart et que nos anciens nommaient un rumb. L'angle au centre correspondant représente naturellement le double, soit 22,5 degrés. Au centre on définissait 32 rumbs ou quarts ou points du compas dont la valeur était également de 11,25 degrés (fig. 2).

Il est admis de nos jours qu'un bon voilier peut remonter au vent de environ deux quarts, soit environ 22,5 degrés. Naturellement, nous ne savons pas quelles étaient les performances réelles des voiliers des époques médiévales; cependant, contrairement à ce qui fut longtemps admis par bien des historiens, je ne vois pas pourquoi les navires antiques n'auraient pas été capables de remonter au vent, d'un, voire de deux quarts, ne serait-ce que parce que, pour entrer au port, il est bien rare qu'il n'y ait pas lieu de louvoyer et qu'il est plus facile de prétendre que cela se faisait à l'aviron que de le pratiquer.

Notons encore que la corde S/SE à N/NO, par exemple, a la même direction que celle qui va de S à NO. On peut repérer, sur le martelloio, toutes les directions de l'horizon au moyen d'un réseau de cordes parallèles entre elles.

Supposons, par exemple, un navire capable de remonter d'un quart par rapport au vent. On constate que, pour une route S/SE à N/NO, bordée tribord, le travers au vent nous amènerait au point NO, c'est-à-dire un point en dessous du N/NO, et que, si nous voulions de ce point NO prendre l'autre bordée, celle de bâbord, nous arriverions un quart au vent du point S/SE, soit au point SE (fig. 3). Étant donné que la bordée de tribord nous mène, non pas au point NO, mais au point N/NO, la bordée bâbord nous amènera finalement, non pas au point SE, mais en E/SE.

En d'autres termes, il suffit de remonter de deux points consécutifs vers le vent pour trouver le point de retour après la course de deux bordées consécutives de bord opposés.

Naturellement, le même raisonnement peut être utilisé pour un navire capable de remonter de un demi-quart au vent; dans ce cas c'est à un point, au vent, que l'on estimera le retour.

Bien entendu, les mesures intermédiaires ne sont pas interdites, mais les lignes correspondantes n'étant pas tracées, le pilote doit alors interpoler à vue. Ceci m'amènera par la suite à évoquer l'importante question de la précision des routes et des estimes que sous-entend l'architecture du martelloio.

 

DIAGRAMMES ET TABLES DE NAVIGATION

Il m'a paru nécessaire de préciser la description de la figure afin que le lecteur puisse de lui-même l'étudier et de rendre compte des possibilités qu'elle offre à un pilote de realiser un diagramme de sa route, soit suivie, soit à suivre.

Dans le premier cas, la tenue à jour de la durée des routes suivies, pour autant quc le problème de la comptabilité des distances parcourues soit supposé résolu, permet de faire figurer sur le martelloio une image de la position théorique du navire. Cette comptabilité se faisait au moyen d'un " renard " comme celui découvert à Barra en 1844. Dans le second cas, le vent étant supposé stable, le pilote peut déterminer la ou les bordées successives à réaliser pour atteindre le point qu'il s'est assigné comme destination Naturellement, le martelloio peut être assorti d'une unité de mesure de distances. Le diamètre étant supposé égal à cent lieues, miles stades journées de marche, rayon presque égal au dixième du diamètre du martelloio.

Les considérations que je viens de développer montrent quel parti pouvait être tiré de cette figure géométrique dont nous remarquerons qu'elle peut être utilisée comme système de représentation plane, par relèvement et distance à partir d'un point origine, des points de la surface de la terre ou de la mer la relation entre chaque point du paysage et son image sur la figure étant parfaitement définie en direction et distance à partir d'un point origine.

Il est tentant d'avancer que, dès lors que la notion de direction s'est précisée, en particulier par l'apparition d'un système de repères qui peut avoir été constitué par des positions de corps célestes, la Polaire par exemple, et qu'à cela s'est ajouté I'agrément d'une unité de mesure des distances moins aléatoire que la " journée de marche ", dès lors le martelloio devenait la figure à laquelle on pouvait ajouter d'autres points de l'espace qui intéressent prodigieusement les marins: les ports, les îles, tous les obstacles, en faire en quelque sorte une carte marine. Je ne suis pas sûr pour ma part que cela ait été, à proprement parler, la démarche des pratiques de ces époques lointaines.

Des recherches que j'avais entreprises, il y a quelques années, au sujet de la navigation en mer d'lroise au Moyen Age, m'avaient mis en présence d'un exemplaire de l'ouvrage de Pedro de MEDINA, El Arte de Navegar [51 dans lequel j'avais vu une série de diagrammes et de tables dont l'emploi m'avait semblé peu accessible à un marin formé par les moyens de la pédagogie contemporaine.

Considérons le premier de ces diagrammes et la table qui l'accompagne (fig. 4). " Quand on naviguera par le premier rum... " cela signifiait que, pour un navire qui souhaitait se rendre à un point que les vents ne lui permettaient pas d'atteindre en droiture, quoique tenant son plus près et qui, par exemple, suivait une route à 1 rumb de sa destination, matérialisée sur la figure par la petite croix, la direction dans laquelle se trouvait le point de destination au bout de 50 " lieues de chemin " était de 1 rumb plus à droite que la direction dans laquelle il se trouvait au départ (première ligne de la première table et rayon marqué 1 sur le cercle 1). La table donne de plus la nouvelle distance à laquelle il s'en trouve, elle est de 50 " lieues d'éloignement ". De la même manière, lorsque le navire, en poursuivant sa route, avait sa destination à 6 quarts de la direction d'origine, la tahle indique qu'il avait dû parcourir 94 " lieues de chemin " (ligne 6, table 1) et que ce point de destination se trouvait distant de 20 " lieues d'éloignement ".

Toutes les autres tables et diagrammes sont construits sur le même principe. Il nous est possible de programmer la formule trigonométrique et de vérifier les données de ces tables. On note des erreurs modestes, mais révélatrices, de la précision de la navigation à cette époque. Ces erreurs, indépendamment d'erreurs grossières, dues à des traductions et transcriptions, telle celle de la ligne 8 où on doit lire, en colonne 3, non pas 92 mais 24 lieues d'éloignement, peuvent atteindre, pour les angles les plus aigus, des taux ne dépassant pas 5% (par exemple, ligne 10 on lit 110&emdash; 10 et 26; les valeurs théoriques sont 111,1&emdash;10 et 23,4).

Il ressort de l'examen de ces documents que le navigateur de cette époque ne cherchait pas à se placer en latitude ou longitude, mais en relèvement et distance par rapport à son point de destination. Il s'agit là, bien entendu, d'un état d'esprit que tout plaisancier ayant une bonne pratique de la navigation à la voile comprendra très bien.

MARTELLOI0S ET TABLES

Si nous revenons au martelloio proprement dit, on constatera que le contenu des tables que nous venons d'examiner SC trouve visualisé par le réseau de cordes. Prenons l'hypothèse que le diamètre de la figure représente 100 lieues (fig. 5) Partons du point Sud vers le point Nord, écartons-nous en de I rumb: nous suivrons une corde- de S à N/NO: la routc suivie est du Ouest quart Noroit l'angle inscrit représentant, je le rappelle, 1 rumb. Lorsque nous serons en A, le point N ne sera plus dans la direction du Nord, mais dans celle du N quart NE; en B il sera dans la direction N/NE. Essayez de mesurer les distances avec un compas pointes sèches et vous retrouverez les données de la table; S-A mesure environ 50, A-N en mesure autant: cela correspond à la première ligne de la table du " premier rum ".

Fig 5.- Marteloire et table de navigation.

Remarquons encore que, pour la table " par le premier rum ", le nombre des relèvements proposé s'élève à 14. Pour les autres tables, ce nombre diminue, et le total du numéro d'ordre de la table ajouté au nombre de relèvements proposés fait toujours 15.

Fig 6. Poursuite de la route au delà du marteloire

Si on poursuit la route au-delà du martelloio, on constate que les relèvements continuent à se succéder, certains en rapprochement du but, d'autres en éloignement, et cela jusqu'au moment où I'un d'eux correspond à la bordée opposée qui ramène directement au port de destination. Il y a 16 points dans un demi-cercle. Pour un navire remontant au vent de I demi-quart par bordée, la route opposée est à 15 points de celle de départ (fig. 6). Vous pourrez vérifier que toutes ces tables sont construites sur l'hypothèse que les utilisateurs montent des navires capables de remonter de au moins 1 demi-quart au vent.

Naturellement, comme le dit P. de MEDlNA: " Advisez toutes fois que ce compte serve de ce nombre de cent lieues, il peut tout aussi bien pour tout autre nombre de lieues que le chemin pourra avoir, si le chemin a deux cents lieues vous ferez deux fois autant le nombre de la première et de la troisième colonne... ", autrement dit vous ferez des parties proportionnelles.

Il me semble clair qu'il s'agit là d'un procédé simple et efficace de tenue de l'estime à la mer. Un compas pointe sèche suffisait, et l'initiation aux quatre opérations de l'arithmétique permettait de la réaliser.

Il est intéressant de noter que cette figure est utilisée par Richard WALLINGFORD (1296-1336), dans sa Trigonométrie du sinus où il reprend la démonstration d'un théorème énoncé par PTOLÉMÉE, selon lequel " le produit des diagonales d'un quadrilatère inscrit est égal à la somme des produits des côtés opposés de ce quadrilatère ". A une époque où le calcul était effectué au moyen de bouliers, voire par comput digital, et où la division arithmétique s'exprimait avec reste sous forme fractionhaire, on conçoit que le martelloio ait servi de moyen graphique de résolution des problèmes de trigonométrie.

Le martelloio étant disposé sur la plus ancienne carte connue à ce jour, on peut par conséquent en inférer que cette technique est aussi ancienne que la carte, sans que cela exclue même qu'elle ne l'ait précédé. Le passage des chroniques de G. de NANGIS cité au début de mon propos pourrait bien se reférer à de tels documents.

MARTELLOIOS ET CARTES ANCIENNES

A une époque où I'accès à une certaine formation intellectuelle se trouvait dispensée avec parcimonie et où se développait un commerce martime, instrument d'échanges économiques, nous constaterons qu'une telle simplicité venait bien à point. Je pense que ce procédé avait peu de chances d'être rendu nécessaire avant que l'usage de l'aiguille aimantée n'ait été lui-même répandu.

On conçoit que ce procédé, associé à l'usage du compas magnétique, en autorisant la navigation pas temps couvert, ait permis de véritables traversées. Cela affranchissait les pilotes de la nécessité dans laquelle ils se trouvaient jusqu'alors de voir le ciel pour tenter de s'y repérer, permettant la navigation hivernale et augmentant de manière considérable les disponibilités en moyens de transport. Les cartes les plus anciennes ont-elles été construites sur le martelloio ou bien celui-ci leur a-t-il été superposé ?

Pour ma part, j'ai examiné plusieurs séries de documents et je n'ai pas trouvé de point d'origine appartenant aux martelloios à partir desquels on aurait pu voir qu'une carte avait été construite. J'ai le sentiment que ces figures ont été placées après la réalisation du contour des côtes et d'une manière telle qu'il permette le suivi du plus possible de routes, le centre n'étant jamais commun à un point remarquable, non plus qu'aucun des points de la circonférence. Des mesures de relèvements et distances me conduisent à penser que les martelloios ont été placés de manière à tenir compte de la déclinaison magnétique de l'époque de construction de la carte, ou du moins d'une déclinaison moyenne pour les régions décrites. C'est le cas des routes du golfe de Gascogne. Sur l'" Atlas Catalan ", je relève une déviation de + 2 (date du document: 1375); sur la carte de Guglielmus SOLVI, de 1385, + 3; sur la carte de A. de VIRGAS de 1409, + 5; sur celle de VILLADESTES, de 1413,&emdash; 1 [7].

C'est aussi le cas de la Méditerrannée où la ligne Gibraltar-Rhodes, qui git ouest-est, a une représentation en général déviée vers la gauche de 6 à 12 degrés, comme on peut le mesurer sur la " carte Pisane ". Cependant, compte tenu de l'étendue des régions décrites par des documents comme la " carte Pisane ", il est inévitable qu'une telle déclinaison moyenne soit différente de celle qui s'applique à des itinéraires particuliers. En tout état de cause, les différences que j'ai relevées sont rarement supérieures à quelques degrés, ce qui est après tout bien négligeable en comparaison des 11,25 degrés du rumb.

J'ai constaté à plusieurs reprises que certaines cartes étaient construites sans martelloio, par reproduction, selon toute vraisemblance, d'une autre carte au moyen d'un réseau de carroyage [7]. Il me semble que c'est également le cas de la "Pisane " et que les petits carrés disposés en oblique en dehors des martelloios qui la surchagent peuvent être tout simplement ce qui reste de cette technique de reproduction, à la main, d'un document plus ancien. Je regrette de ne pas suivre sur ce point, la suggestion de Yoko FALL, dans son récent ouvrage [8], à savoir qu'il peut s'agir d'un carroyage spécial destiné à couvrir des régions connues pour leurs anomalies magnétiques.

A ce sujet, je ferai remarquer que la déclinaison magnétique est de &emdash;6 degrés à Gibraltar. Elle atteint + 3 en Syrie, de nos jours. Par ailleurs, la ligne de déclinaison nulle passe par la Sicile et la Tunisie. Nous ne savons pas comment a fluctué le magnétisme terrestre au cours des siècles, mais il paraît normal que deux martelloios aient été dessinés en Méditerranée, I'un pour couvrir le bassin ouest, de déclinaison négative, I'autre pour le bassin est, de déclinaison positive.

MARTELLOIOS ET CARTES MODERNES

J'ai programmé sur une Casio 702 P un calcul permettant de connaître, compte tenu d'une latitude moyenne, de la distance et du relèvement de deux points donnés, le cap et la distance joignant ces deux points, selon la méthode loxodromique moderne et selon le système d'application plane que constitue la carte médiévale. Le programme fournit alors l'erreur théorique tant sur le cap que sur la distance.

Pour une route de Villano à Ouessant, j'ai constaté que dans le cas d'une carte qui semblait centrée au voisinage d'Athènes, ce qui constitue une des circonstances les plus défavorables que j'ai pu trouver, une erreur de cap de 9 degrés et une erreur de distance de 39 nautiques actuels, ce qui semble peu lorsqu'on songe que le cap enregistré au " renard " n'avait apparemment pas de précision supérieure au point, soit I I degrés environ. Cependant, je n'ai pas retrouvé cette différence sur la carte, ce qui m'incline à penser que les auteurs s'attachaient à établir des relations, non pas entre tous les points de la carte et le point d'origine de celle-ci, mais entre des points privilégiés en raison de liaisons réalisées entre eux de manière courante [9].

Tout se passe comme si les portulans avaient été construits pour décrire un itinéraire privilégié, par exemple depuis la Flandre jusqu'à Chypre [3]. Chaque segment est placé sur le portulan en route magnétique locale.

La précision remarquable des routes surprend lorsqu'on se souvient que les quelques compas anciens qui nous sont parvenus montrent rarement des divisions plus précises que le rumb de 11,25 degrés. Remarquons simplement que pour les marins se rendant régulièrement du cap Finisterre à Ouessant en droiture, la route au N/NE fait atterrir au large de Ouessant, tandis que le NE/qN fait toucher la chaussée de Sein. La route réelle est au 027. C'est celle que l'on peut lire, à 1 ou 2 degrés près sur les portulans des XIII°, XIV° et XV° siècles. Il est vraisemblable que le point précis du compas qui devait être suivi fut l'objet d'un consensus et le fruit de la confrontation des expériences de générations successives de marins. Une étude statistique des routes, lues sur l'itinéraire mentionné ci-dessus, fait apparaître des déviations très homogènes d'une carte à l'autre, et pour lesquelles je ne vois pas d'autre interprétation que d'y voir la déclinaison magnétique locale de chaque segment. En poussant le raisonnement, il devient intéressant d'utiliser ces portulans pour étendre jusqu'au XIII° siècle, I'étude du paléo-magnétisme, initiée par W. van BEMELLEN, en 1899.

Naturellement, les martelloios ont fleuri sur la quasi-totalité des cartes médiévales. Ces cartes, au début, ne couvraient que la Méditerranée, du moins celles qui nous sont parvenues. Au fur et à mesure que les décennies, puis les siècles, vont passer, on voit apparaître des représentations de plus en plus précises des côtes cantabriques, de la Bretagne armoricaine (fig. 7), puis de la Bretagne insulaire et enfin de l'Irlande, de l'Écosse et de la mer du Nord. Cette progression semble suivre la progression du développement du commerce maritime sud-nord et traduire l'importance du transport de " la baie " vers les Flandres et l'Angleterre. Ce transport était alimenté par le commerce des vins de Bordeaux et du Portugal, du sel de Bretagne et de Saintonge, mais aussi par les expéditions annuelles des Génois vers Anvers qui ont été étudiées par J. HEERS [10].

Naturellement, les martelloios sont présents sur la carte de Gracioso BENINCASSA, de 1466 |9], mais aussi sur celles de BROUSCON, 1546 [11], qui couvrent le proche-Atlantique (fig 8 et 9).

A l'instar de Angelino DALORTO, qui exécuta, en 1325, une carte du monde connu [12] sur laquelle je trouve deux échelles de distances de valeur différentes, BROUSCON fait, lui aussi, figurer, sous la forme d'une échelle de latitude cette fois, une unité de mesure de distance plus grande au nord qu'au sud. Ceci me semble témoigner de la préoccupation que les cartographes ne peuvent pas ne pas avoir ressentie, d'accorder le système relèvement-distance utilisé avec les déformations de représentation que nous connaissons et dont j'ai mentionné l'ordre tout à fait relatif (carte de A. de VIRGA [6]). Il va de soi que la fréquentation de latitudes plus septentrionales que celles de la Méditerranée devait faire reprendre conscience de la chose et, si on remarque que BROUSCON était contemporain de MERCATOR, on peut se demander si ses travaux ne témoignent pas d'un état d'esprit de recherche de la solution à laquelle MERCATOR allait laisser son nom.

A l'empirisme médiéval, allait se substituer une recherche plus fouillée, plus cohérente, cherchant la connaissance, non pas limitée à des questions particulières, mais dans son universalité. Il ne s'agissait plus seulement de savoir dans quelle direction et à quelle distance se trouvait le port désiré, mais bien de le situer, de se placer et de calculer ensuite routes et distances, dans un contexte qui se voulait universel, applicable à toutes les mers et sous toutes les latitudes.

Nous sommes en présence de sauts dans le progrès technologique. Le premier est marqué par l'utilisation du martelloio, qui va permettre une navigation tous temps en Méditerranée et accessoirement en proche-Atlantique, le second est la création de la carte moderne qui permettra l'appréhension du monde entier jusqu'à ce que l'électronique et les satellites constituent à nouveau un autre saut. Ces sauts sont parmi les nombreux témoins de l'évolution de la pensée occidentale; ils ont été accompagnés de phénomènes économiques dont il est difficile de dire avec certitude s'ils en ont été la cause ou la conséquence.

Pour ce qui concerne les flottes bretonnes qui aux XlV° et XV° siècles assuraient une part importante du transport, alors de première nécessité, du vin de Bordeaux et du sel de " la baie " vers le nord de l'Europe, I'usage de ces techniques allait permettre le contournement des dangereux atterrages de l'lroise et contribuer à l'affaiblissement du système de perception des " brefs de mer ", péages de l`époque, qui avaient largement contribué à la richesse du duché de Bretagne et à celle d'une partie de la population riveraine, depuis Penmarch jusqu'à Roscoff en passant, naturellement, par la fameuse abbaye de Saint-Mathieu .

BIBLIOGRAPHIE

 

 

Dernière mises à jour de la page : vendredi 15 juin 2012

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